dimanche 14 février 2016

Devine qui vient diner ce soir ? Il frappe à la 9eme porte !

Tout le monde connait le film de Roman Polanski "La neuvième porte", avec Johnny Depp et Emmanuelle Seigner (compagne de Polanski).
Le film raconte la quête d'un expert en livres anciens qui se lancera plus ou moins par hasard à la recherche de la "neuvième porte" qui fera de lui, un "égal de Dieu". Vaste programme, non ? Il y a, rien que dans le thème choisi, énormément de questionnements et nous allons voir que les prolongements du film sont bien plus vastes que ce que l'on pourrait croire de premier abord.

Bien au delà de la qualité du film (c'est du Polanski), les thèmes abordés sont réellement profonds et posent plusieurs questions plus que complexes à appréhender et même peuvent conduire à une introspection dont les réponses peuvent donner différents éclairages à cette quête.

ATTENTION SPOILERS
Le film est assez ancien et donc, je suppose que je ne vais pas spoiler grand-chose, mais on ne sait jamais, et donc sachez que dans les lignes qui suivent, je vais raconter la totalité de l'histoire.

L'histoire du film

Tout commence par le suicide par pendaison d'un vieil homme dans sa bibliothèque. Cet homme est richissime et vient de vendre son exemplaire d'un livre maudit permettant d'invoquer le diable à une personne inconnue.
Lors de l'estimation d'ouvrages de bibliothèque, au cours d'une succession, le personnage de Dean Corso apparait (Johnny Depp). C'est un homme froid, cynique même, sans scrupule et vénal qui n'hésite pas à escroquer les gens qui l'ont appelé pour évaluer la collection de livre de leur père (?) et auxquels il ment effrontément pour acheter à vil prix des livres rares et "casser le marché" pour les autres experts.

Un grand conférencier (et bibliophile émérite), Boris Balkan fait appel à lui pour authentifier un livre. Il se rend donc chez lui, dans son entreprise, pour expertiser ce livre. A son arrivée, Balkan donne une conférence et il voit une étudiante aux yeux verts lumineux qui assiste à la conférence. Il s'assoit et s'endort, preuve de son intérêt pour les fadaises racontées. 
A la fin de la conférence, Balkan emmène Corso dans sa bibliothèque privée (qu'il ouvre avec le code d'entrée 666 à saisir sur le clavier) pour lui montrer son livre, "Les neuf portes du royaume des ombres", écrit par Aristide Torchia en 1666 (notez encore le fameux 666, nombre de la Bête de la Bible). Torchia a été brûlé sur le bûcher avec ses livres, par l'Inquisition, mais trois exemplaires ont survécu. 
Balkan en a un et deux autres collectionneurs aussi, mais à priori, un seul serait une édition authentique et permettrait d'invoquer le diable.

Corso, totalement sceptique, ironise en le moquant : "vous avez essayé et il n'est pas apparu" ?
Balkan élude et confie à Corso la mission de se procurer le véritable exemplaire à "n'importe quel prix". Il prendra en charge tous les frais et versera à Corso une somme pharamineuse s'il vient au bout de sa quête et ramène le livre original.

Corso se met donc en quête et interroge Liana Telfer, la femme de l'homme qui s'est pendu au début du film. Elle reconnait le livre et affirme que son mari lui en a offert un exemplaire. Elle ne réalise pas que le livre qu'elle tient entre ses mains est son propre exemplaire à elle, que son mari a revendu à Balkan la veille de son suicide, et coupe court à l'entretien, car son mari n'était pas du genre à invoquer le démon. Elle demande de qui Corso tient son exemplaire, mais après avoir hésité, Corso garde le silence sur son commanditaire. Par contre, elle lui apprend que son exemplaire à elle, a été acheté chez les frères Ceniza. Donc l'exemplaire qu'il a en mains vient de chez eux.

Il se rend en bibliothèque pour vérifier les points matériels connus sur ces livres, nombre de pages, reliure, etc...
Et à la bibliothèque, il voit la jeune étudiante aux yeux verts le surveiller. Il est troublé par sa ressemblance avec une gravure qui se trouve dans le livre, mais elle disparait avant qu'il ait pu remettre ses lunettes.

Au retour, il constate que son appartement a été fouillé et il décide de mettre son exemplaire en sécurité chez Bernie, un libraire avec qui il est "en affaires", et qui est ce qui se rapproche le plus d'un ami pour lui. Au retour, Liana Tefler qui a compris que l'exemplaire de Corso est le sien et qui veut le récupérer, lui propose de l'argent puis fait l'amour avec lui. 
Au passage, Corso note un tatouage spécial composé de serpents entrelacés sur la fesse de sa partenaire. Quand elle comprend que Corso l'a prise pour une idiote et qu'il l'a "eue" en n'ayant pas l'intention de rendre le livre, tout en couchant avec elle, Liana Tefler l'assome.

Corso doit donc prendre l'avion et se rendre en Espagne. Il avait mis son exemplaire en sécurité chez Bernie (on ne peut pas véritablement parler d'ami, mais il fait suffisamment confiance à Bernie) et lorsqu'il passe le récupérer, Bernie a été assassiné, pendu par un seul pied, devant un escalier, ses deux jambes formant un chiffre 4 inversé. Corso passe sous le cadavre pour récupérer son exemplaire.

Sorti de la librairie, il avise (par téléphone à partir d'une cabine publique) Balkan qui ne parait pas ému outre mesure de la mort du libraire, et lui annonce que les choses deviennent trop dangereuses et qu'il abandonne la mission. Pour le convaincre de continuer, Balkan multiplie ses gages par 10.

Corso prend l'avion et se rend en Espagne chez les frères Ceniza, deux jumeaux, très célèbres pour leurs activités de faussaires en livres anciens. Si quelqu'un a falsifié un livre au point que des experts puissent douter qu'il s'agisse d'un faux, ce sont les seuls à pouvoir le faire. Les jumeaux concluent que son exemplaire est bel et bien un original, mais que l'auteur, Torchia, a été aidé dans son écriture par quelqu'un de très célèbre. Corso examine les images qui sont chacune signées par les initiales de leur auteur et constate qu'il y a deux signatures : AT pour Aristide Torchia (6 gravures) et LCF (3 gravures), qui ne peut être que Lucifer. En sortant de la boutique, un échafaudage s'écroule, manquant de peu tuer Corso.

Corso décide donc d'aller au Portugal, à Sintra, examiner un des deux autres exemplaires, chez un bibliophile ruiné, Antonio Fargas. Dans le train, il croise de nouveau la mystérieuse fille aux yeux verts. Corso pense que c'est une sorte d'espion ou de privé à la solde de Balkan qui est chargé de le surveiller. Fargas accepte que Corso examine son livre, mais refuse de le vendre à Corso (et donc Balkan), quel qu'en soit le prix. Après une mise en garde sur le fait que certains livres sont dangereux et qu'on ne peut pas les ouvrir sans prendre de risque, Fargas accepte que Corso compare les deux exemplaires. Et là, Corso fait une découverte.

Les gravures différent d'un exemplaire à l'autre. La encore, il y a 6 gravures de AT et 3 gravures de LCF, mais pas les mêmes. Les gravures de AT étant identiques, Corso comprend que le rébus consiste à réunir les gravures signées LCF. Trois gravures dans chaque livre, soit bel et bien neuf gravures au total.
En sortant de chez Fargas, le copain / garde du corps de Liana Tefler tente de le tuer, mais il sera mis en fuite par la mystérieuse jeune fille aux yeux verts (donc elle le surveille et le protège).

De retour à son hôtel, Corso reçoit un appel de Balkan (et donc Corso a une confirmation qu'il est constamment sous surveillance, et conforte ses soupçons sur la fille aux yeux verts) qui lui demande de faire le point sur ses avancées.
Corso lui révèle sa découverte et Balkan lui demande de se procurer l'exemplaire de Fargas. Corso répond que Fargas refusera car il tient plus à son bouquin qu'à la vie. Balkan reprend "Vraiment ?" sur un ton qui laisse à penser que....

Corso décide de retourner donc sur place le lendemain. Or, il réveillé par la jeune fille aux yeux verts qui lui dit qu'il y a urgence et l'accompagne sur place. Elle lui explique tranquillement que Fargas a été assassiné et lui montre le cadavre dans la fontaine, puis lui ouvre la porte en escaladant le fronton d'entrée pour qu'il récupère le second exemplaire du livre. Le livre est en train de brûler dans la cheminée, et, quand Corso le récupère, il constate que toutes les gravures "intéressantes" ont été retirées avant l'autodafé. La fille attend, le guide, mais lui laisse systématiquement l'initiative. Leurs relations sont fraiches, car Corso est convaincu qu'elle travaille pour Balkan, mais elle élude ses questions : "Je croyais que c'était toi (qui travaillais pour lui)"....

Corso doit maintenant se rendre chez la baronne Kessler pour examiner le dernier exemplaire. La baronne accepte qu'il examine son livre, mais lorsqu'elle apprend qu'il est commandité par Balkan elle le chasse. Lorsqu'il sort, il est pris en chasse par le garde du corps de Liana Tefler et se réfugie dans un bar.
Quand il lui semble que le garde a cessé sa surveillance, il tente de fuir vers son hôtel par les quais, mais c'était une ruse et le garde est bien là pour l'agresser. C'est à ce moment là que la fille aux yeux verts "vole" du haut du parapet vers le quai pour défendre Corso. Elle se bat contre le garde du corps qui fuit, et raccompagne Corso à son hôtel.

Dans la chambre, elle saigne du nez et Corso a ses lunettes cassées. Ses yeux verts luisent et elle a une expression des plus ambigües. Avec sa main, elle prélève son sang et trace 3 traits verticaux, alignés sur le front de Corso. Corso se retire et efface la marque.

Balkan appelle Corso au téléphone, et lui intime l'ordre de revenir chez la baronne consulter le dernier livre. Pour montrer "patte blanche", et exécuter sa mission, Corso révèle à la baronne ce qu'il a découvert.

Il lui montre des photocopies des ouvrages pour lui expliquer les différences entre les gravures. La baronne, convaincue de sa bonne foi et certaine de prendre de l'avance sur ses concurrents dans le match qui les oppose accepte alors de le laisser poursuivre ses recherches, et il identifie les 3 dernières gravures LCF.
La baronne lui a expliqué qu'elle a voué sa vie au diable et que Liana Tefler, elle et Balkan sont rivaux. Ils étaient membres de l'ordre du Serpent d'argent (d'où le tatouage sur la fesse de Liana tefler) et qu'ils organisaient des messes noires suivies d'orgies sexuelles, mais que ce (bon ?) temps là est bien fini, vu qu'ils n'ont jamais réussi à faire apparaitre le diable, et que chacun a repris sa quête de son coté, quête sans merci.
A titre de preuve, de cette guerre sans pitié, la baronne lui montre une carte postale (qui représente le château du diable où doit être fait la fameuse invocation), écrite par Balkan et dans laquelle il lui dit que c'est lui le premier qui l'a trouvé.

Elle vaque a ses affaires et laisse Corso examiner les images, mais sur la gravure 8, Corso remarque l'analogie entre les deux visages dessinés sur l'image et le sien et celui de Balkan.

Il n'a pas plus tôt fait cette constatation qu'il est assommé. Lorsqu'il reprend ses esprits, la baronne a été étranglée et on a mis le feu à sa bibliothèque. Corso s'échappe de justesse.

Il rentre a son hôtel pour se rendre compte que son exemplaire à lui, caché après avoir copié les images, a disparu, sans doute volé par liana Tefler et son garde du corps. Il avise par téléphone, Balkan qui le menace de façon à peine voilée et lui demande de récupérer son exemplaire sous peine de représailles funestes. Corso lui indique que c'est Tiefler et son garde du corps qui sont les coupables.
La mystérieuse fille aux yeux verts réapparait et ils décident de récupérer ensemble l'exemplaire de Balkan. Manque de Chance, les coupables viennent juste de quitter l'hôtel et la fille aux yeux verts vole une voiture pour se lancer à leur poursuite. Ils perdent la trace des fugitifs, mais la fille aux yeux verts qui conduit leur véhicule, réussit à trouver un indice qui les amène sur les lieux, dans un immense château paré pour une fastueuse réception.
Corso et la fille aux yeux verts s'introduisent dans le chateau et attaquent Liana pour lui reprendre le livre, mais son garde du corps intervient et les fait prisonniers. Il les fait descendre à la cave pour les exécuter, mais Corso réussit faire tomber le garde du corps et le roue sauvagement de coups, provoquant l'admiration de la fille aux yeux verts. Elle est toujours passive et laisse Corso décider, mais elle l'assiste et le protège.

Puis il se rendent à la cérémonie de la messe noire, où officie Liana Tefler. Ils se dissimulent dans la foule et se rapprochent pour récupérer le livre, quand Balkan fait son apparition. Il récupère son livre de force et assassine Liana Tefler devant toute l'assemblée. Il pousse son cadavre d'un coup de pied pour bien montrer son dédain et fait fuir toute l'assemblée en disant simplement "Bouh !".
Puis, profitant de la confusion, il s'en va, puisque désormais, il dispose de toutes les gravures originales. La fille aux yeux vert donne un pardessus à corso, et met un pistolet dans une des poches. Corso tente de suivre Balkan, mais casse sa voiture durant la poursuite. Avec la carte postale "récupérée" chez la baronne, montrant le château (c'est forcément la destination de Balkan), il se fait indiquer la route et se rend (en stop) là où il sait que Balkan va célébrer son rituel.

Lorsqu'il arrive, Balkan a commencé son rituel. Il a disposé les gravures originales dans un ordre précis et exécute chaque phase. Corso s'approche mais passe à travers le plancher vermoulu qui le garde prisonnier.
Impuissant, il ne peut que se moquer de Balkan et l'incite à lui donner une preuve qu'il est réellement un surhomme.
Balkan, piqué au vif, s'asperge alors d'essence et se met le feu. Au début, il rit, ne sentant pas la douleur, mais d'un coup, il réalise que quelque chose n'a pas marché et il hurle de douleur. Corso réussit à s'extirper du trou dans le plancher et prend son pistolet (dans le pardessus, cf chapitre précédente) pour abattre Balkan. Puis il sort et remonte en voiture. 
Là il retrouve la fille aux yeux verts et il comprend la signification de la dernière gravure. Ils font l'amour tandis que le château s'embrase, les yeux de la fille luisant d'une lueur verte inquiétante sur fond d'incendie - méchoui.

Le lendemain, ils sont sur le chemin (du retour ?) et font de l'essence. Corso demande à la fille pourquoi le rituel n'a pas marché. Elle sourit et lui dit que la neuvième gravure n'était pas la bonne. Il lui demande alors de lui indiquer où il peut la trouver. Elle tente de le dissuader, car son rôle est fini, mais il insiste. Il va payer son plein. 
Quand il revient, la fille a disparu mais lui a laissé la gravure (fausse) avec dessus un mot qui est l'indication de l'indice final et qui renvoie vers les frères Ceniza. Il va de nouveau à l'échoppe, mais les frères ont disparu et des déménageurs, jumeaux eux aussi (c'est le même acteur qui joue les 2 rôles, à la fois des deux scènes et des deux jumeaux), enlèvent le mobilier.

Lorsqu'ils déplacent une armoire, une feuille, dissimulée dans la poussière sur le dessus de l'armoire glisse et tombe aux pieds de Corso. C'est la neuvième gravure, la vraie.

Le lendemain, au crépuscule, il est de retour au château et s'avance vers son destin : il a ouvert la neuvième porte....


Avertissement : le texte qui suit risque de choquer les opinions ou la sensibilité de certaines personnes. Donc ne poursuivez votre lecture que si vous vous sentez sur de vous.

Le décodage du film

Tout au long du film, le personnage le plus important, c'est le livre.
On peut épiloguer sur la signification qui est donnée au livre, mais globalement, on peut dire que les livres renferment un véritable savoir qu'il faut manipuler avec précaution, car la connaissance n'est jamais innocente.
Les livres contiennent la connaissance, mais on ne s'approprie pas la connaissance sans en payer un prix très fort. Nous avons tous en mémoire le mythe Prométhéen, ainsi que l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal dans la Bible qui provoque le renvoi de l'Homme du Paradis terrestre.

Howard Philip Lovecraft avait bien compris cette problématique, en inventant de toutes pièces le fameux "Nécronomicon", étymologiquement le Livre des Morts, écrit par l'arabe dément Abdul Al Hazred.

On retrouve cet avertissement dans le Bouddhisme : Réfléchir sans maitre est vain, mais réfléchir sans livre (ou sans apprendre selon les traductions)  est dangereux.

De fait, il y a une corrélation si intense entre le livre et le savoir, que l'on en fera un bien sacralisé au point de lui dédier une pièce spéciale : la bibliothèque...

Rappelez vous aussi l'incendie de la grande bibliothèque d'Alexandrie. Une catastrophe pour les connaissances de l'époque. Carl Barks ou Don Rosa (je ne me souviens plus bien, mais il me semble que c'est Don Rosa) imaginera même que le fameux "Manuel des Castors Juniors" (qui a toujours réponse à tout et qui est convoité par les méchants bien qu'au service exclusif des Castors Juniors) serait un condensé du savoir de cette fameuse bibliothèque... C'est dire l'impact qu'elle a eu sur nos inconscients collectifs.
Sur la couverture de cuir noir de la "Neuvième porte", il y a un simple pentacle, gravé dans la peau, pointe dirigée vers le bas...

Le pentacle

Contrairement à ce que l'on croit, le pentacle, ou étoile à 5 branches n'est pas un signe néfaste.
La moitié est le commencement du tout.  Or, étant la moitié de 10, avec 5, on peut écrire 10 et donc on peut mesurer la totalité de l'univers puisque nous savons dénombrer la totalité des choses et bâtir des calculs à partir de cette base.
Le pentacle était d'ailleurs le signe de ralliement secret des Pythagoriciens et cette école philosophique constituait une fraternité des plus organisée. Tout individu qui connaissait ce signe secret pouvait recevoir l'aide inconditionnelle de n'importe quel autre membre du réseau pythagoricien.

La sommes des angles intérieur de l'étoile donne 144°, soit 12 x 12 (tiens donc, nous y reviendrons), et il n'est pas étonnant que le pentacle soit à la base de la construction des églises romanes. Hé oui, le pentacle est sacré, et justement, on détourne le symbole sacré en le faisant pointer vers le bas, ou lieu de vers le haut, pour "inverser" ses valeurs positives en valeurs négatives.
Si, un jour, vous allez dans une église romane, positionnez vous au milieu du transept (à la croisée nef / transept / choeur) et parlez "normalement" en direction de la nef. Votre voix sera entendue en tous points de la nef. Stupéfiant, non ?

Hé bien, vous êtes au centre d'un pentacle qui fixe la longueur des bras du transept, et les dimensions du choeur (Google est votre ami).

Donc bien loin d'être un symbole maléfique, le pentacle est bénéfique.
Bon, dans la "Neuvième porte", la pointe est dirigée vers le bas, donc, c'est maléfique.... et donc sataniste.... Nous y reviendrons après avoir parlé des huit portes...

Les huit portes de Jérusalem

Houlà, on va loin, là.... Mais la ville de Jérusalem comporte huit portes.
  1. La Nouvelle Porte (ou Porte de Hamid)
  2. La Porte de Damas (ou Porte de Sichem)
  3. La Porte d'Hérode (ou Porte des Fleurs)
  4. La Porte des Lions (ou Porte Saint Etienne)
  5. La Porte Dorée (ou Porte de la Vie Eternelle)
  6. La Porte des Immodices (ou Porte de Siloë)
  7. La Porte de Sion (ou Porte de David)
  8. La Porte de Jafa (ou Porte des Amis)

Ce qui nous donne bien 8 portes....

Elles sont magnifiques et imposantes. Mais en réalité, il existe une neuvième porte...

La neuvième porte a pour nom : la porte des tanneurs (Google est votre ami). C'est une toute petite porte (2 m de large) qui daterait du 13eme siècle et qui a été réouverte après la Guerre des 6 jours.
Comme son nom l'indique, cette porte était réservée aux tanneurs, car ils étaient considérés comme impurs de par leur profession. Ils avaient donc une entrée (la porte étroite ? oui, je sais, mais bon, je n'ai pas pu résister) plus petite et moins imposante qui leur était réservée pour éviter tout contact avec le reste de la population.

De là, à partir de ces données historiques, que l'idée d'une "neuvième porte" réservée aux parias et aux exclus ne germe dans l'idée d'un scénariste Hollywoodien, il n'y avait qu'un pas... Mais non, l'idée a germé dans l'esprit d'un écrivain espagnol, Arturo Perez Reverte qui a écrit "Le club Dumas" dont est tiré le scénario du film....

Le livre est bien entendu plus étoffé que le film, mais c'est toujours le problème de l'adaptation d'une oeuvre sur un support différent que celui pour lequel elle a été conçue. Le scénario occulte (désolé, mais je n'ai pas pu résister) totalement une seconde histoire qui porte sur un passage mystérieux et retrouvé des "trois Mousquetaires" d'Alexandre Dumas qui n'a jamais été publié, et Milady et Rochefort, son âme damnée (décidément !) qui se "retrouvent" en Liana Tefler et son garde du corps....

Le satanisme

Bon, on y arrive. En fait, contrairement à ce que l'on croit trop souvent, le satanisme est une invention assez récente.
Officiellement le satanisme a été créé de toutes pièces par Anton Szandor La Vey en 1969, et a pris "date" par la publication de la "Bible satanique", livre fondamental de "l'église de satan" (créée en 1966, ben oui, il fallait au moins un 66 quelque part...).

Le satanisme tel que le conçoit La Vey est plus une philosophie qu'autre chose. Cette philosophie place l'Homme au centre de la perception de la vie et enjoint une totale liberté par rapport à n'importe quel dogme religieux, et le refus de vénérer un quelconque dieu pour devenir soi-même son propre dieu.

C'est le paroxysme de l'individualité. Par contre, il n'y a bien entendu, aucune référence théiste à un dieu, même négatif, mais plutôt à un fondamental naturel, voire naturiste de "nature naturante". C'est laisser libre cours aux instincts de l'Homme en respectant les autres et leur individualité.

C'est un système de pensée complet et cohérent qui invite l'Homme à faire des choix logiques, en respectant sa propre nature et ses propres penchants. Il s'inspire en partie du néo-paganisme de la Wicca, dont il refuse tous les cotés de croyance ou d'occultisme.
Le satanisme de La Vey refuse aussi toute notion de culpabilité, car les actes posés doivent respecter tout individu, autant soi que les autres.

La valeur essentielle en est l'intelligence qui permet le discernement et se base sur le refus de la norme sociétale qui "étouffe" l'individualité. Il n'y a donc aucun "culte" rendu à satan ou à une divinité infernale (nous y reviendrons dans un futur article). La Vey se place plutôt dans la veine du Surhomme de Nietzche (nous y reviendrons aussi dans un futur article).

Soit dit en passant, le nom satan vient de "shaitan" qui signifie "obstacle", celui qui se met en travers de la parole de Dieu. Est ce pour cela que La Vey a choisi d'appeler sa philosophie, "satanisme" ???
La Vey est mort en 1997, mais il avait de nombreux admirateurs de ses théories, parmi lesquels un certain.... Roman Polanski (et Google est toujours votre pote).

Relecture du film

Maintenant que nous en savons un peu plus, relisons le film.
Si l'on fait hyper-synthétique, le but du jeu pour Balkan est de reconstituer une quête. Ses connaissances lui font disposer les gravures ainsi :
  • 1. Voyager en silence ;
  • 4. Par de longs chemins détournés ;
  • 3. Braver les flèches de l'infortune ;
  • 6. Ne craindre ni la corde ni le feu ;
  • 7. Jouer le plus grand des jeux ;
  • 5. Gagner quel qu'en soit le prix ;
  • 8. C'est se rire des vicissitudes du destin ;
  • 2. Et conquérir enfin la clef ;
  • 9. Qui ouvrira la neuvième porte.

C'est ce qu'il annonce à Corso avant de s'immoler par le feu. Pour autant, la traduction n'est pas fidèle. Est ce parce qu'il n'a rien compris que son interprétation est mauvaise ?

Si nous lisons les inscriptions en latin qui figurent sur les images, nous obtenons :

1. Silentium est aurum : Le silence est d'or


Corso est peu loquace, il ne parle à personne, n'a pas d'amis. Lorsque Liana Tefler lui pose la question de la provenance de son exemplaire, il ne livre pas son secret, pas plus que son commanditaire à la baronne. Ces deux étapes sont des moments clés de la quête, et je suis sûr qu'on doit pouvoir en trouver d'autre. Corso respecte donc la consigne 1.

4. Fortuna non omnibus aeque : La chance (ou le destin) n'est pas égale pour tous.


Corso traverse les épreuves, mais d'autres qui participent plus ou moins directement à la quête ou au jeu, c'est selon, n'ont pas la même chance : Bernie est assassiné, ainsi que Fargas, Liana Tefler ou la baronne. A noter que Bernie meurt comme le montre la 6eme gravure.... que nous verrons plus bas. Si vous aimez les cartes de tarot, vous aurez certainement reconnu la lame du pendu.... Nous reparlerons un jour dans un futur article des tarots.

3. Verbum dimisum custodiat arcanum : La parole perdue garde le secret, autrement dit il faut garder le secret malgré les menaces.


Cette gravure peut aussi être comprise comme "ne pas aller trop loin, car le danger vient d'en haut" si l'on s'en réfère à l'illustration. Et oui, c'est la scène ou l'échafaudage s'écroule, matérialisant le danger qui vient d'en haut et auquel échappe Corso. Il garde le secret des auteurs (AT ou LCF) de gravure malgré les menaces dont il fait l'objet, mais le livre à Balkan et à la baronne. Je pense qu'il y fait référence devant Fargas, mais que celui-ci s'en moque. Malgré les menaces, il ne rend pas le livre à Tefler et ne lui donne pas d'information. Il a toutefois peur de la menace de Balkan quand il perd son exemplaire. Mais dans ce cas, non plus, il ne parle pas.

6. Ditesco mori : S'enrichir de/avec la mort. Ne craindre ni la mort, ni le feu...


Quand un suppôt de satan (il vaut mieux de satan que de zitoire, car les suppots zitoires sont glissants et font mal aux fesses) commence à pratiquer, il ne doit craindre ni la mort ni le feu du bûcher, ce qui l'attend forcément s'il est découvert. Or, Corso ne craint pas la mort : il passe sous le cadavre de Bernie pour récupérer son livre, ne s'occupe pas de Fargas noyé dans son bassin, et n'hésite pas à s'élancer contre Balkan qu'il sait être un meurtrier multiple. Il n'a pas peur du corps étranglé (analogie avec la pendaison de Bernie ?) de la baronne et ne craint pas le feu pour récupérer l'exemplaire de Fargas qui brûle ou aller vers la baronne qui est dans les flammes pour prendre la carte postale. Il poursuit sa quête.... Et il utilise cette étape pour convaincre Balkan de se faire brûler.... Il ne craint pas plus la mort de Balkan non plus que le moyen du feu par lequel il va le tuer... A chaque fois, Corso s'enrichit matériellement et ...moralement ?

7. Discipulus potior magistro : Le disciple dépasse le maître.


Corso dépasse Tiefler qui est juste une partouzarde, dépasse la baronne qui est une vieille femme qui a laissé tomber la quête, dépasse Balkan, que l'on peut considérer comme son "maitre" puisque c'est lui qui l'initie à cette quête, en connaissances et en compétences. Il devient violent (quand il tabasse le garde du corps de Liana Tefler, provocant l'admiration de sa protectrice) et meurtrier quand il abat Balkan. Rien ne l'arrête pour aller au bout de sa quête, alors qu'au départ, il réclame juste son fric et veut arrêter dès qu'il sent le premier danger. Ainsi l'élève dépasse bel et bien le maitre. Au passage sur la gravure, on voit deux chien (un blanc et un noir) se battre... Corso / Balkan ?

5. Frustra : En vain.


La neuvième image est toujours un faux.... Ruse ultime ? Test ? Quelles que soient les embûches, faut il persévérer ? Et au bout du compte, la quête est elle vaine ?
Tout cela n'est-il qu'un vaste jeu de dupes ? Une immense fumisterie ? Vanitas Vanitatis, Omnes Vanitas ?

8. Victa iacet virtus : La vertu est vaincue.


L'étape ultime, c'est la perte de la vertu, donc de l'innocence. Corso ne respecte plus rien : il est lui-aussi prêt à tout pour arriver à ses fins. Par exemple, quand il tabasse le garde du corps de Liana Tefler qui va les exécuter et provoque l'admiration de la Fille aux yeux verts qui se murmure à elle même, "je ne savais pas que tu en étais capable"....
Il s'est approprié la quête et est prêt à tout pour la mener à son terme. Il n'est plus un innocent manipulé, le jouet de forces qui le dépassent. Il est désormais impliqué.
Et s'impliquer.... c'est choisir son camp.

2. Clausae Patent : Ouvre ce qui est fermé.


Il y a beaucoup d’ambiguïtés dans cette quête, et la gravure 2 est symbolique. Corso a trouvé les "clefs". Il peut ouvrir. Il est au bout de sa quête. Le passage est ouvert, mais va t il passer la neuvième porte ? On peut aussi comprendre la gravure comme un conseil "décode le sens caché de chaque image". Je pencherais plutôt pour la première solution, car la gravure n°2 est disposée à la fin des gravures et non au début.
Ce qui est fermé est hermétique. Et justement la quête, c'est de décoder les secrets hermétiquement scellés. Si ce n'est pas le but, c'est donc que c'est le chemin. Le chemin que tous cherchent et que Corso, lui, parcourt.

9. Nunc scio tenebris lux : Maintenant je sais que des ténèbres vient la lumière


Alors là, renversement total de situation et ambiguïté totale. Le final est sublime de perversité. Après avoir suivi toutes les aventures de Corso la fin est des plus double-sensique. Des ténèbres vient la lumière. Le diable, ce sont les ténèbres, la lumière est divine.
Mais n'est ce pas au fond d'un puits que l'on voit le mieux la lumière (en physique, c'est vrai : au fond du puits, il n'y a pas de lumière parasite et on voit mieux les étoiles) ? Et d'ailleurs au fond d'un puits que se trouve la vérité ? Cela doit nous questionner au plus profond de nous mêmes. Reprenons.

2eme Relecture

Les autres prétendants ont échoué à cause de leurs défauts. Liana Tefler était lâche et faible. Elle ne voulait pas aller au bout de sa quête ou se trompait de quête, et se contentait de satisfactions matérielles. Il faut savoir ce que l'on cherche, ou du moins en avoir une idée pour se lancer sur une route difficile. Eliminée.

La baronne fanfaronne mais n'a pas la force d'âme pour poursuivre sa quête. Elle n'a plus de but. Elle tourne en rond. Elle n'a plus sa "foi". Eliminée.

Balkan, croyait faire ce qu'il fallait pour parvenir au but, mais il n'avait pas compris que c'est la route qui compte et pas le but. Il a chargé Corso de parcourir la route et a cru gagner en trichant, en prenant un raccourci. Sa quête est vaine. Il est dans une totale vacuité, car sa route à lui est vide de sens.
Ce sont les obstacles majeurs de toute quête initiatique.

Reste Corso. Là encore, la fin est ambigüe. Que cherche-t-il ? Ceux qui ont répondu "Vanessa" sont priés de prendre la porte et de copier 100 fois, "je ne lirai plus de magazine pipole". A t il abattu Balkan pour lui éviter la souffrance du feu, par vengeance ou par plaisir ? Sa main tremble, mais il va au bout de l'acte...
Elargissons... Franchit-il la porte par Amour ? Parce qu'il n'a rien à perdre ? Pour voir ce qu'il y a au-delà ? Par prédestination ?

Regardez attentivement les gravures marquées du fameux LCF. Toutes les gravures reprennent les visages des personnages de l'intrigue, et on voit bien le visage de Fargas (dans la gravure 2), des frères Ceniza (dans la gravure 3), de Balkan et de Corso (dans la gravure 8). On revoit la scène de la mort de Bernie (Gravure 6).

Et dans la gravure 9, le château est en feu... donc le méchoui Balkan était prévu ??? Ou du moins était une condition nécessaire au "passage" ? Prédestination ?

En fait, la Fille lui laisse le choix. Elle dit à Corso que son rôle est fini. Mais en même temps, tout au long du chemin, elle l'a protégé, voire marqué de son sang....
Prédestination, coïncidence, amour ?
Tout le film est fait pour annoncer le final qui est là pour interroger le spectateur.

Le rôle de la fille aux yeux verts

Est tenu par Mathilde Seigner, oui, je sais, merci... Mais quel est son rôle exact dans toute cette histoire ?
Est ce une succube ? Un ange gardien déchu ? Un démon amoureux d'un humain ? Une sorcière ?

Alors cherchons si une hydre à 7 têtes peut nous aider... et nous trouvons dans l'Apocalypse selon St Jean, Chapitre 17 (tiens donc, un nombre 17, nombre premier et le premier que l'on ne puisse pas tracer avec un simple compas pour diviser un cercle en 17 parties égales, nous en reparlerons pour Pi) que :

"Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, et ayant sept têtes et dix cornes. Cette femme était vêtue de pourpre et d'écarlate; et richement parée d'or, de pierres précieuses et de perles; elle tenait à la main une coupe d'or, remplie d'abominations et des souillures de sa prostitution. Sur son front était un nom, un nom mystérieux: " Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre".

Et le Verset 17 (encore 17) précise : "Car Dieu leur a mis au coeur d'exécuter son dessein, et de donner leur royauté à la bête, jusqu'à ce que les paroles de Dieu soient accomplies."
(traduction du Chanoine Crampon)
Et la suite précise que cela marque une époque de matérialité et de division qui conduiront à la fin des temps et ainsi à l'avènement de la Jérusalem céleste....

Alors, qui est la mystérieuse inconnue assise sur l'hydre à 7 têtes ?
En fait, la réponse de tout le film se trouve dans l'interprétation que chacun va donner du rôle et de la qualité de la fille aux yeux verts.

Un explication est fournie dans le roman.


Le Dragon (de la gravure) équivaut au Serpent (qui se mord la queue, tatoué sur la cuisse de Liana Tefler) et sont équivalents à la Bête : ce sont des gardiens qui dissimulent un nom, qui est "la formule magique qui ouvre les yeux et fait de vous l'égal de Dieu".
Ca ne vous rappelle pas une certaine analogie avec les théories satanistes de La Vey et l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, avec son serpent tentateur dont nous parlions au début de l'article, juste après avoir raconté le film ?

Alors maintenant, à vous de vous faire votre propre opinion...

Bon on est arrivé au bout, là ?

Oui et non....On pourrait passer des heures à discuter sur des thèmes aussi riches que ceux qui sont abordés dans ce film.

La complexité du décodage tient à la richesse et à l'universalité des thèmes abordés et surtout à ce final qui "ouvre la porte" (c'est le cas de le dire... Oui, j'ai honte de mon humour) à toutes les spéculations.

Tout repose sur la condition humaine, et la conception que chacun a de cette notion. Selon votre système de valeur, vous verrez telle ou telle chose, tel ou tel détail ou telle ou telle explication, un peu comme dans cette fameuse auberge espagnole, ou chacun trouve... ce qu'il a apporté avec lui.

En tout cas, on comprend bien l'interrogation de Polanski, le réalisateur de "Rosemary's baby" : sa femme, Sharon Tate a été massacrée par une secte de fanatiques, adorateurs d'un gourou bien allumé, et psychopathe (Charles Manson). Le comble de l'horreur était que Sharon Tate était enceinte de 8 mois et qu'elle a supplié ses meurtriers de la laisser vivre pour mettre au monde son enfant.
Loin de l'épargner, la meurtrière (oui, c'est une femme qui a fait cela), l'a non seulement tuée, mais a extrait le foetus pour le tuer lui aussi... Wikipedia et Google sont vos amis.

On comprend bien, dès lors, le questionnement de Polanski et la quête métaphysique qu'il nous expose. Sommes nous vraiment libres de nos choix ? Existe t il une prédestination ? Qu'est ce que le Bien, et qu'est ce que le Mal ? Vouloir la Connaissance est il mal ?
Corso franchit il la porte par Amour pour être uni à la fille aux yeux verts ? Pour la Puissance ? Pour la Liberté ? Par ce qu'il n'a rien de mieux à faire ? Par Prédestination ?
Pour se détruire ou se construire ?

Il y a donc effectivement de quoi prolonger l'interrogation que pose la neuvième porte, de comprendre le cheminement de Polanski et de regarder le monde qui nous entoure d'un oeil critique, sans être négatif. Il y a aussi de belles choses en ce monde.

Vous pouvez bien entendu laisser tous les commentaires que vous souhaitez....