lundi 11 août 2014

La Jettatura

Une histoire assez extra-ordinaire qui montre à quel point les malédictions peuvent se réaliser.
Amis du surnaturel, réjouissez-vous, vous allez en prendre plein les mirettes et que du super lourd..
Pensez donc : une sorcière, une histoire de malédiction, des morts dans tous les coins, bref... que du lourd... Jackpot !!!

Mon grand père me racontait une histoire survenue à un de ses oncles, en Italie, il y a... fort longtemps comme on le dit toujours au début des contes...

Le grand-oncle était maçon et se louait sur des chantiers. Un jour, il toucha le jackpot : il fut embauché par une société de bétonneurs qui devait construire un barrage.
Du travail assuré sur au moins 4 ou 5 ans, plus de peur du lendemain, un bon salaire, des repas offerts, bref, la vie de cocagne.
Il faut quand même préciser qu'à cette époque (fin du XIX eme, début du XX eme siècle), les constructions de barrage étaient assez rares et que c'était une sorte d'évènement.
Il faut dire que la transmission de cette histoire se fait dans ma famille de façon orale, mais je ne puis garantir que ce soit réellement mon grand-oncle qui soit le conteur initial. La tradition familiale lui attribue ce rôle, mais je pense que d'autres familles doivent revendiquer le même droit, à juste titre elles aussi, d'ailleurs.
De même, comme dans toute transmission orale, il ya eu des enjolivements et un peu de roman pour faire dans le sensationnel.
Je vais donc essayer de vous conter cette histoire de la façon la plus neutre (et objective) possible.
Toutes les précautions orales, ayant été prises, allons y pour l'histoire


Les faits

or donc, en ces temps là, un barrage devait être construit dans le nord de l'italie afin de fournir un réservoir d'eau potable et d'irriguer les cultures.
Un ingénieur compétent fut nommé comme responsable de projet et commença à recruter des équipes et à acheter les terrains des gens du cru pour les exproprier.
L'ingénieur commença à acheter des terrains et le projet s'annonçait sous les meilleurs auspices (et non pas hospices comme je l'ai vu écrit à de nombreuses reprises).

Mais il fit une gaffe et une gaffe de taille : en parlant de son projet dans le bar qui lui tenait lieu de Quartier Général pour rencontrer la population et conclure ses achats de terrains (cela se pratiquait ainsi, à cette époque, du moins à ce que l'on m'a expliqué), il annonça qu'il allait détruire l'Eglise et sumerger le cimetière.
Une vieille femme hurla. On allait toucher à l'Eglise et aux "os des morts", au rang desquels figurait son pauvre mari.
Pas question de commettre deux sacrilèges. Elle hurla, tempêta tant et si bien que les habitants, honteux, refusèrent de vendre leurs terrains.

La vieille femme commença dès lors à mener une guerre personnelle contre le projet. Elle avait une réputation sulfureuse de "sorcière" et savait jeter le "mauvais oeil" et surtout la "Jettatura" (elle venait de Sicile). La Jettatura est une malédiction. Elle se fait en faisant les cornes avec les doigts de la main : on garde droits l'index et l'auriculaire et tous les autres doigts sont repliés.
On appelle ce signe le "cornuto", le cornu, en référence au diable. En même temps que le signe, on vocifère des imprécations et des malédictions.

Chaque matin, elle allait vociférer des imprécations sur le chantier, jeter la Jettatura sur les engins et sur les ouvriers, cracher sur l'ingénieur et surtout haranguer la population pour les convaincre de ne pas céder aux sirènes du modernisme.
Elle en appelait à tous les Saints pour qu'ils prennent en pitié et que le feu du Ciel s'abatte sur ces impies qui allaient profaner l'Eglise du village et surtout profaner les tombes du cimetière.
Le résultat ne tarda pas : sur le chantier, les incidents se multiplièrent, puis les accidents. Les propriétaires étaient de plus en plus réfractaires à vendre et l'ingénieur dût procéder par des voies légales de contrainte pour les obliger à vendre et à mener à bien son projet.
Les incidents avec la population se multipliaient, les ouvriers étaient mécontents et réclamaient des compléments de salaires pour les risques encourus et même pour rester à travailler sur un chantier maudit.
Malgré toutes ces difficultés et tous ces retards, le chantier avançait tant bien que mal.
L'ingénieur fit enlever les pierres tombales et les fit transporter dans un nouveau lieu (c'étaient des tombes factices appelées "cénotaphes", qui ne contiennent pas de corps) pour calmer la population.
Puis, après avoir fait désacraliser l'Eglise par le prêtre du village, il la dynamita.

En effet, lorsqu'un village est submergé lors de la construction d'un barrage, on dynamite absolument tout, église, cimetière, constructions et on reconstruit tout ailleurs, afin que les gens ne puissent pas avoir de regret ou espérer revoir leur maison dans les eaux du lac qui sera formé.
Un sorte d'irrévocabilité de la chose qui évite les cultes de la mémoire qui seraient insupportables pour la majorité des êtres humains.
L'ancien village est rasé, détruit et un nouveau village est construit. La mémoire de l'ancien est effacée. Plus de regrets.
C'est la procédure normale.

Lorsque le cimetière fut détruit ainsi que l'Eglise, la vieille sorcière disparut.
Enfin tranquilisé, l'ingénieur acheva les travaux et invita les notables pour l'inauguration.
Au jour dit, et devant toute la population et tous les notables du coin, la vieille sorcière fit sa répparition. Elle insulta tout le monde, les traitant de vendus, de lâches, et autres noms d'oiseaux.
Elle s'avança sur la pointe du barrage (les barrages ne sont jamais rectilignes (droits), mais incurvés pour des questions de résistance mécanique). De là, elle lança la Jettatura sur les ouvriers, sur la population, sur les notables, sur l'ingénieur et sur le barrage.
Puis elle récita une prière, fit le signe de croix et sous les yeux horrifiés de l'assistance, se jeta dans le vide.

La pauvre vieille femme fut inhumée décemment quoi que sans les sacrements de l'Eglise puisqu'elle s'était suicidée, et enfin avec encore deux jours de retard, le barrage fut mis en eau.
Croyez le, dès que l'eau atteignit les deux tiers de la hauteur, un grondement sinistre se fit entendre, le barrage se mit à vibrer, puis à trembler, se fissura et enfin... s'effondra.
L'ingénieur fut proprement viré. La population et le curé du village firent pénitence et des processions pour se faire pardonner leurs erreurs.
Le projet s'arrêta là. La vieille sorcière avait gagné.

Quoi que.... Longtemps après, un nouvel ingénieur fut nommé et quatre ans après un nouveau barrage fut érigé ...qui cette fois résista à la pression de l'eau.


A ce stade on est en droit de s'interroger

Oui, vu sous cet angle, les choses sont assez impressionnantes. Tous les ingrédients y sont : la pauvre veuve, à moitié folle, à moitié sorcière, les malédictions, la Jettatura, le cornuto...
On pourrait en faire un film, tous les ingrédients habituels de ce type de production y sont.
Et si on cherche un peu, cette histoire doit éveiller des échos en vous. Tous les humains cherchent un part de merveilleux dans le monde qui les entoure.
A ce stade de votre lecture, vous vous posez des questions. Mais vous n'allez pas chercher la matérialité des faits, car vous vous doutez bien que si cette histoire est sur ce site, c'est qu'il y a une raison bien logique et bien rationnelle pour expliquer tout cela.
Posez vous les bonnes questions, mais avant cela que ressentez vous ?
Cette histoire n'éveille t elle pas votre intérêt  ? N'avez vous pas pris parti soit pour l'ingénieur, soit pour la vieille femme, ou pour juger les actes des uns et des autres.
La population est innocente ? Personne n'est innocent : ils ont vendu leurs terrains pour faire une bonne affaire.
La vieille femme n'avait pas toute sa tête ? Pas sûr.... mais n'avait elle pas raison sur le principe de ce qu'elle disait : ils vendaient leur âme, l'âme de leur village...
Les ouvriers n'y étaient pour rien ? Ils participaient à l'oeuvre de destruction d'un village. Comment auraient ils réagi s'il s'était agi du leur ?
L'ingénieur exécutait les ordres reçus ? Oui, mais n'aurait il pas dû discuter avec la vieille femme ? Les choses se seraient peut être passées moins violemment.

La situation est bien moins simple que ce que l'on veut bien croire au premier abord.
Chacun aurait pu faire un geste pour l'autre, ou essayer de comprendre le point de vue de l'autre.
Alors qui a raison et qui a tort ? Personne n'a raison et personne n'a tort. Chacun e fait des choix qui ont conduit la situation à se dérouler comme elle s'est déroulée.
Un peu comme si chacun subissait la situation.
Si l'ingénieur avait négocié le déplacement du cimetière et la préservation de symboles forts de l'Eglise, aurait-on pu arriver à une situation de compromis ?
Bref, à une situation gagnant-gagnant ? Personne ne peut le dire avec certitude, mais le fiasco total aurait peut être pu être évité.
Pour illustrer ce propos, je vais vous raconter une histoire qui se veut drôle :
Un homme meurt et dans sa vie il a autant fait le bien que le mal. On lui laisse donc le choix de choisir entre enfer et Paradis. Il demande à voir les deux pour se faire une idée et faire son choix.
Justement, c'est l'heure du repas en enfer. Il voit arriver les malheureux avec les mains prises dans des gantelets au bout desquels il y a des perches de 3 m et au bout une louche.
Ils s'installent à table, et des diablotins (diables hautains ?) leur servent une magnifique coupelle de soupe fumante et délicieuse, au centre de la table. Aussitôt ils battent pour assayer dans manger, mais dans la mélée, ils en renversent et avec des perches de 3m au bout des mains, aucun ne parvient à manger, ce qui fait bien rire les diablotins.
Assez consterné par ce spectacle, l'homme demande alors à voir le Paradis. Chance pour lui, eux aussi vont se mettre à table.
Et il voit arriver les habitants du Paradis avec les mains prises dans des gantelets au bout desquels il y a des perches de 3 m et au bout une louche.
Il se tourne vers Saint Pierre et lui dit : "On me l'a déjà faite celle-là, mais je ne comprends pas bien quelle est la différence entre enfer et Paradis..."
Et Saint Pierre lui dit "Regarde". Il se tourne et voit que chaque personne utilise sa louche pour aller nourrir l'autre situé en face de lui et est nourri lui aussi de la même façon...
A méditer...


Les explications

Ben en réalité, l'explication est bête comme chou.
C'est simplement un engrenage fatal.

Lorsque la "sorcière" a commencé à se mettre en opposition au projet, l'ingénieur a continué à acheter des terrains, mais il a dû les payer plus cher que prévu initialement.
Pareil pour les ouviers auxquels il a dû verser des primes supplémentaires pour calmer les esprits et des heures supplémentaires pour compenser les retards. Des hommes qui sont fatigués on plus d'accidents que des hommes frais et dispos.
Le climat de superstition s'est développé lui aussi, contribuant à accroitre les tensions entre groupes et donc les incidents, puis les accidents.
Quelques sabotages de la pauvre femme (pneus crevés, têtes de Delco arrachées, ...) pour retarder le chantier ont accru les tensions.

Dans un climat psychologique difficile, les gens sont tendus et font des erreurs qui accréditent l'idée que la Jattatura fonctionne. Comme l'a dit un célèbre auteur : "ce qui porte malheur, c'est d'être supertitieux".
Mais le fin mot de l'histoire, c'est que pour faire des économies et ne pas avoir un coût pharaonique, l'ingénieur a caché les incidents à ses commanditaires et a rogné sur la sécurité et sur la qualité des matérieux.
A titre d'exemple, selon l'oncle maçon, il a fait mettre plus de sable (de mauvaise qualité) que de ciment (lui aussi de piètre qualité) dans le béton, ce qui est une erreur phénoménale et annonce logiquement une catastrophe : la qualité mécanique n'est pas au rendez-vous et le barrage cédera...
C'est un simple enchainement de faits négatifs et de mauvaises décisions, générant par là même d'autres faits négatifs. C'est la chronique d'un échec annoncé.
Au final on a géré une catastrophe.

Si vous voulez intervenir sur cette histoire, ne vous génez pas... Les commentaires sont là pour ça...


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