mercredi 5 février 2014

La Comtesse Bathory

Amis de l'extrême, du hors normes et du gothisme, réjouissez-vous.... Nous allons parler aujourd'hui de la fameuse comtesse Bathory. Cette égérie du gothisme véhicule nombre de fantasmes, avoués ou non qui vont chercher dans les recoins les plus sombres de la psychè humaine.
Tout le monde connaît plus ou moins son histoire et les circonstances tragiques de sa mort, emmurée vivante dans son château. Mais qu'on est il de la réalité ?
Est elle prédatrice sans foi ni loi, victime expiatoire ou un peu des deux à la fois ? Faisons le point de nos connaissances, et comme toujours en essayant de n'avoir aucun parti pris préalable.


Biographie succincte

Elizabeth Bathory est une comtesse hongroise née le 7 août 1560. Son prénom s'orthographie différemment car plusieurs langues (hongrois ou slovaque) pouvaient être utilisées à cette époque. Elizabeth est la francisation de son prénom hongrois Erzsébet. Sur le net, vous trouverez les deux orthographes, mais elle est nettement plus connue sous les noms de "comtesse sanglante", "ogresse des Carpathes" ou même de "comtesse Dracula". Son oncle, prince de Transylvannie (tiens donc) deviendra Roi de Pologne.
Nous sommes au XVI eme siècle. En France, au moment de la naissance d'Elizabeth, le Roi est Francois II (fils de Henri II et de Catherine de Médicis), qui mourra dans l'année et Charles IX lui succédera. La tutelle de la France sur l'Ecosse prend fin et nous sommes en plein dans les guerres de religion. La France voit son influence diminuer. Le Saint Empire Romain Germanique prend de l'importance et comble le vide laissé par le déclin de la France (Héritage de Charlemagne oblige, et nous y reviendrons dans un prochain billet). Mais ce qui est intéressant c'est que cette même année Jacobus Arminius (tiens donc) nait en Hollande.
En 1648, le Saint Empire Romain Germanique intègre définitivement des états limitrophes (auparavant, on pouvait les considérer comme des états satellites : il servent de tampon face à une autre grande puissance en cours de développement, l'Empire Ottoman) comme partie prenante de l'Empire. La Hongrie en fait partie, entre autres.... Et l'Empire ainsi constitué devient un des plus importants d'Europe. Il ne sera vaincu que par Napoléon Ier.
Pourquoi vous administrer un tel cours d'histoire ? Nous y reviendrons plus tard. J'ai fait léger, quand même pour ne pas rendre mon discours indigeste, mais c'est le minimum vital si l'on souhaite démêler le vrai du faux.
Pour ceux qui aiment les clins d'oeil, à chaque (tiens donc) relisez le grand classique d'Abraham Stocker, "Dracula".
L'enfance d'Elizabeth est de courte durée. A onze ans elle quitte sa famille pour rejoindre sa belle famille car elle est promise en mariage à Ferenc Nadasdy qui a 5 ans de plus qu'elle. Leur union sera célébrée quand elle aura quinze ans et donc lui, vingt.
Pour sa dot, son mari lui offre le château de Cachtice, dans les Carpathes (tiens donc). C'est de là que le vient le sobriquet de "Dame sanglante de Cachtice", car elle y commettra (?) ses forfaits, y sera emprisonnée et y mourra le 21 août 1614.


Qui est Elizabeth Bathory ?

A vingt trois ans, Nadasdy, son mari est nommé commandant en chef des troupes hongroises. On le surnomme "le Prince Noir" ou "le Chevalier Noir" et il guerroie contre les Turcs (l'Empire Ottoman). C'est un chef courageux, mais il est réputé pour sa violence et sa cruauté (tiens donc).
Pendant son absence, c'est Elizabeth qui gère ses domaines. Elle possède donc de grandes qualités puisqu'elle accomplit son rôle sans défaillance. Mieux, il semble qu'elle intercède pour les pauvres et les nécessiteux. Des lettres ont été retrouvées qui étayent cette partie de sa personnalité. Pour son époque, elle était une femme cultivée qui lisait et écrivait dans six langues. Donc déjà, une femme hors du commun.
Par contre, à part une amourette qu'on lui prête (mais aucune preuve ne vient confirmer cette histoire) avant ses quinze ans à l'issue de laquelle elle aurait eu une fillette mort née (ou peut être la fillette lui a t elle été enlevée à la naissance pour être placée dans une famille de paysans dévouée et silencieuse), rien ne ternit le tableau de la femme avisée et cultivée qui gère ses terres en l'absence de son mari et qui se soucie du bien être de ses sujets.
A cause de la guerre et donc de l'absence de son mari, Elizabeth n'aura son premier enfant qu'en 1585. Elle aura cinq enfants dont seuls trois survivront. A priori, elle n'aurait pas été une mauvaise mère, du moins on ne l'attaque pas sur ce point là.


Les faits sanglants

Il faut bien en venir là. Il semblerait que la personnalité d'Elizabeth Bathory soit plus complexe qu'il n'y parait au premier abord. Elle semble prendre du plaisir à exercer un certain sadisme sur les domestiques de sa maison. Ses préférences vont vers les femmes et on la soupçonne fortement de bisexualité. Les domestiques sont donc battues, privées de nourriture, fouettées et abandonnées au froid pour le moindre motif de mécontentement. Sadisme inhérent à sa personnalité, traumatisme dû à l'abandon de sa fille illégitime pour devenir comtesse, influence d'une tante perverse et persuadée d'être sorcière ? Impossible de connaître le fait générateur.
Très rapidement, elle s'organise avec l'aide de quatre complices :

  • Dorottya Szentes, connue sous le nom de Dorko
  • Ilona Jo
  • Katalin Benicka
  • Janos Ujvari, un nain connu sous le nom de Ficzko

Leur but est de recruter de jeunes filles dans les environs, sous couvert de leur procurer un emploi de domestique au château. Ensuite, une fois entrées, le château deviendra leur tombeau. L'équipe n'hésite pas non plus à accomplir des rapts, voire à s'attaquer à des jeunes filles de la petite noblesse.
La légende prétend que, un jour, ayant frappé une domestique sur le nez et ayant reçu de son sang sur la main, elle constatera que sa peau retrouve sa jeunesse. Obsédée par le vieillissement, elle aurait conçu l'idée de prendre des bains de sang pour garder une jeunesse éternelle.
A la mort de son mari, en 1604, elle n'aura plus de retenue et se laissera aller à ses penchants sadiques et orgiaques avec tous les excès.


L'enquête et le procès

En 1604, un pasteur se plaint à la Cour, mais ce n'est qu'en 1610 qu'une enquête est diligentée par Gyorgy Thurzo, palatin de Hongrie, à la demande de l'Empereur Matthias Ier.
Seulement voila, Elizabeth est d'une lignée royale. Donc il faut étouffer le scandale et négocier. Elizabeth ne comparaîtra pas devant un tribunal. Elle sera assignée à résidence et cloîtrée. Sa fortune immense restera dans sa famille, mais il faut trouver des coupables.
Le procès sera rondement mené et environ 300 témoignages seront rassemblés. Tous vont dans le même sens et décrivent des actes de barbarie perpétrés sur de jeunes femmes : coups, brûlures, aiguilles plantées dans le corps, mauvais traitements, inanition, froid extrême, tout est infligé à ces jeunes filles pour leur donner une mort lente et douloureuse.
On ne sait pas chiffrer le nombre de malheureuses qui ont succombé à cette équipe infernale, mais il est sans doute très proche de la centaine, voire au delà.
A l'issue du procès, Katalin Benicka sera condamnée à la prison à vie. Elle a fait ressortir qu'elle ne s'est livrée à ces actes de barbarie que sous la contrainte de ses complices, ce qu'ils confirmeront.
Les trois autres seront condamnés à mort et périront sur le bûcher. En raison de sa jeunesse, Fliczko sera décapité avant d'être jeté au bûcher, tandis que les deux autres auront les doigts arrachés avant d'être jetées vives dans les flammes.
Elizabeth survivra 4 ans cloîtrée dans une pièce de son château, emmurée vivante, avec pour seul lien avec l'extérieur, une fente dans le mur pour lui donner sa nourriture.


Les lacunes de l'histoire

On ne saura sans doute jamais le fin mot de l'histoire. Mais plusieurs données se superposent. 

La première de ces données est le sadisme réel de la comtesse Bathory. Il n'y a pas de fumée sans feu.
Toutefois si le sadisme de la comtesse est avéré, l'histoire des bains de sang n'a jamais été ni évoqué, ni confirmé et la légende concernant ces bains de sang semble forgée de toutes pièces pour accroître encore (comme si c'était nécessaire) le dramatique de la situation. Elizabeth Bathory a certainement le sang de plusieurs innocentes sur les mains (sans jeu de mots de mauvais aloi). Mais à cette époque, les gens cruels et violents ne sont pas rares. Et son mari s'appelle le "Prince Noir" ... ce qui ne nous incite pas à penser qu'il s'agit d'un tendre. Il ne s'agit pas de l'absoudre. Mais on ne connaît pas les raisons qui l'ont poussée à devenir un tel monstre. Un traumatisme (l'enlèvement de sa fille première née à la naissance par exemple) ? L'usage de drogues initié par une tante à elle qui se présentait comme sorcière ? Sa bisexualité refoulée ? Une maladie mentale ? La sûreté de pouvoir échapper au châtiment ? Bien malin qui pourrait répondre ....

La seconde de ces données est que les témoignages obtenus ont tous été obtenus sous la torture avec ce que l'on peut supposer d'aveux "bidons" pour que le bourreau cesse. Il faut aussi savoir (notamment lors des procès pour sorcellerie) que les gens torturés ainsi "en rajoutaient" d'abord pour se soustraire à la douleur, puis par défi et enfin pour être sûrs d'être condamnés à mort et que la sentence soit rapide (même par une mort sur le bûcher) plutôt que de moisir blessé et brisé dans un cul de basse fosse bouffé par les rats et couvert de champignons sans espoir de libération. Donc meurtres il y a, sadisme il y a, mais sans doute d'une moindre ampleur que ce que les minutes du procès relatent.

La troisième donnée est une donnée politique. Elizabeth Bathory était issue d'une famille de destinée royale. Et la Hongrie lui paraissait sans doute trop petite pour ses ambitions. Elle pouvait vouloir, soit briguer la couronne de l'Empire, soit envisager de faire sécession et donc de porter un rude coup au Saint Empire Romain Germanique. Elle aurait d'ailleurs pu invoquer la neutralité face aux Turcs ou s'allier à eux momentanément pour des motifs politiques. Elle aurait aussi pu semer la zizanie auprès des autres états satellites pour empêcher la coalition. N'oublions pas que cette frontière d'états satellites jouait le rôle de tampon au profit du Saint Empire Romain Germanique face au pouvoir Ottoman (d'où le cours d'histoire du début). Bref, elle était un danger sur l'échiquier géo-politique du moment. Ses déviances étaient donc une porte de sortie inespérée pour la mettre hors jeu.

Le Palatin chargé de l'enquête faisait ainsi d'une pierre, deux coups : il préservait la stabilité de l'Empire, car il conservait de bons rapports avec la lignée des Bathory en maintenant leur fortune et leur héritage (conservant ainsi des alliés puissants et susceptibles de jouer le rôle de tampon face aux Ottomans) et châtiait durement des "serial-killers" (quoique le mot n'existait pas encore à l'époque) et montrait ainsi au peuple que personne n'échappe à la Justice Impériale, même de lignée royale, tout en mettant hors jeu une personne qui aurait pu porter atteinte à l'intégrité de l'Empire.


La légende

Bien sûr, la légende est passée par là. Vlad Dracul (dit Dracula) n'est pas loin. Et tous les ingrédients de l'histoire donnent quasiment un film à gros budget hollywoodien.
On peut surtout se demander comment la comtesse a pu sombrer dans un tel délire sadique. Maladie mentale ? Traumatisme causé par la mort ou la confiscation de sa première enfant ? Bisexualité non assumée ? Pratiques de sorcellerie ayant brisé un esprit faible ? Consommation de drogues ?

Nous ne connaîtrons sans doute jamais la vérité. Il y a certainement exagération, mais les faits sont là, et même sous la torture, tous ont avoué les mêmes crimes, sans se concerter.
Après quelques siècles, la vérité est sans doute impossible à découvrir, mais la légende court et vole et dans notre imaginaire, la comtesse prendra encore des bains de sang dans une baignoire éclairée par une cheminée dans un cachot souterrain de son château, tandis qu'au dehors, le vent glacial soufflera sur la neige de la cour, sifflant contre les créneaux des remparts...
La vérité historique est tellement plus fade....

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